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Proposition de loi relative à l’entretien régulier de relations personnelles entre l’enfant et ses parents en cas de séparation de ces derniers

Le 14 décembre 2023, les sénateurs ont adopté la proposition de loi visant à favoriser la résidence alternée de l’enfant en cas de séparation de ses parents. Ce texte a été remanié, comparé au texte initial porté la sénatrice Elisabeth Doineau (UC, Mayenne) et plusieurs de ses collègues.

Actualité législative

Le 14 décembre 2023, les sénateurs ont adopté la proposition de loi visant à favoriser la résidence alternée de l’enfant en cas de séparation de ses parents. Ce texte a été remanié, comparé au texte initial porté la sénatrice Elisabeth Doineau (UC, Mayenne) et plusieurs de ses collègues.

Sur le fond, cette proposition présentée maintenant à l’examen de l’Assemblée nationale comprend 3 articles aux objet suivants :

Malgré sa faible portée juridique, une telle disposition serait de nature à signifier plus clairement aux deux parents l’obligation qui leur est faite de cultiver des liens réguliers avec l’enfant, notamment dans le cas où la résidence de l’enfant est située chez l’un des parents.

Le juge statuant sur les modalités de droit de visite et d’hébergement du parent chez lequel la résidence de l’enfant n’est pas située, il devra prendre en compte les obligations des parents vis-à-vis de leur enfant en cas de séparation. Ainsi complétée, cette obligation a vocation à favoriser l’implication des deux parents, y compris dans le cas où une résidence alternée n’a pu être décidée, dans l’entretien et l’éducation de l’enfant.

Cette évolution doit conduire le juge, dans le cas où une résidence alternée ne paraît pas adaptée à la situation familiale, à mieux prendre en considération la possibilité d’octroyer un DVH dit « élargi », notion jurisprudentielle recouvrant l’octroi d’un temps avec l’enfant plus ample qu’un DVH dit « classique » -impliquant généralement un week-end sur deux et le partage à égalité des congés scolaires.

Seraient ainsi pris en compte non les seules pressions ou violences exercées par l’un des parents sur l’autre mais également celles exercées sur la personne de l’enfant. Si de telles situations étaient dans les faits déjà prises en compte, cette précision inscrite dans le code civil vient utilement rappeler cette obligation au juge.

Au cours des débats en séance, le Gouvernement a soutenu ce texte.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. « Votre texte, madame la sénatrice Doineau, traite d’une question particulièrement importante : les conditions dans lesquelles l’enfant entretient des relations régulières avec ses parents, lorsque ceux-ci sont séparés.

Quand les parents se séparent, ces derniers ou, à défaut, le juge aux affaires familiales, organisent les conditions dans lesquelles leur enfant pourra maintenir des relations avec chacun d’eux.

Il s’agit là d’un droit fondamental, notamment rappelé par le sixième principe de la Déclaration des droits de l’enfant du 20 novembre 1959. Nous partageons donc pleinement l’objectif de cette proposition de loi, qui vient insister sur la nécessité pour l’enfant d’entretenir des relations personnelles régulières avec ses deux parents.

En la matière, il convient cependant d’être prudent quant aux leviers employés pour parvenir à cette concorde, au premier rang desquels la fixation du mode de garde. Comme vous le savez, il y a autant de situations différentes que de familles. L’intérêt de l’enfant doit donc toujours s’apprécier de manière nuancée, au cas par cas.

En 2014, le Défenseur des droits avait eu l’occasion de rappeler « qu’un équilibre devait être trouvé entre la non-automaticité de la résidence alternée, dans l’intérêt de l’enfant, et l’exercice effectif de l’autorité parentale conjointe ». Il soulignait ainsi que la systématisation du principe de la résidence alternée, notamment pour les bébés et les petits enfants, pouvait aller à l’encontre de l’intérêt et de l’équilibre des enfants concernés.

Je crois en effet qu’en matière de protection de l’intérêt de l’enfant, il faut faire preuve la plus grande prudence envers toute automaticité.

Je relève d’ailleurs que les travaux de la commission des lois, sous l’impulsion de Mme la rapporteure Marie Mercier, qui a une connaissance fine des questions relatives à l’enfance, ont permis d’emprunter ce chemin, qui est celui de la prudence.

Nous examinons donc aujourd’hui un texte qui tend vers un équilibre intéressant entre, d’une part, la promotion d’une coparentalité équilibrée et, d’autre part, la préservation de l’intérêt de l’enfant.

L’article 1er de la proposition de loi, dans sa version initiale, entend modifier l’alinéa 2 de l’article 373-2 du code civil, afin de préciser que les parents doivent entretenir « régulièrement » des relations personnelles avec l’enfant.

Si cette rédaction, validée par la commission des lois, a une portée essentiellement symbolique, elle présente également un intérêt pédagogique. Il s’agit ici de rappeler que, pour pouvoir prendre des décisions dans l’intérêt de l’enfant, il est évidemment nécessaire – c’est tautologique – d’entretenir des relations régulières avec celui-ci.

Un tel rappel me semble bienvenu en ce qu’il est de nature à responsabiliser les parents.

L’article 2 précise que la notion de droit de visite recouvre également celle de droit d’hébergement.

Cette précision est utile : elle clarifie les textes et lève toute ambiguïté éventuelle. La commission des lois ne s’y est d’ailleurs pas trompée, puisqu’elle a conservé cette information.

L’article 2, dans sa version initiale, entendait en revanche faire de la résidence alternée le mode de résidence par principe de l’enfant, lorsque l’un des parents au moins en faisait la demande. Une telle rédaction suscitait certaines interrogations, car il est difficile d’ériger la résidence alternée en modèle unique et absolu qui s’appliquerait à toutes les familles.

Je dirais même que, dans certaines configurations, imposer cette organisation familiale à un parent qui ne l’a pas choisie peut s’avérer contre-productif, voire dangereux pour l’enfant si le parent contraint se montre totalement désinvesti ou, pire, maltraitant.

Votre commission des lois a donc proposé une nouvelle version de cet article 2 afin, d’un côté, de ne pas imposer de modèle de résidence de l’enfant et, de l’autre, de promouvoir un temps parental équilibré. Elle constitue une piste de travail intéressante qu’il semble utile d’approfondir dans la suite des débats parlementaires.

Permettez-moi de rappeler que nous ne partons pas de rien. Le droit positif encourage déjà la mise en place de la résidence alternée pour l’enfant : l’article 373-2-9 du code civil invite le juge aux affaires familiales, lorsqu’il est saisi d’une demande aux fins de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, à envisager la résidence alternée en première intention.

Autre outil mis en place pour favoriser la résidence alternée : le code civil permet de mettre en place une résidence alternée à l’essai, à titre provisoire, et offre au juge toute latitude pour en fixer les modalités en prévoyant, le cas échéant, une progressivité.

En pratique, cette promotion de la résidence alternée porte déjà ses fruits : la dernière enquête sur la résidence alternée, réalisée par le ministère de la justice en 2022, et l’enquête flash sur les conventions de divorce par consentement mutuel, réalisée par le Conseil supérieur du notariat en juin 2022, établissent ainsi que le taux de résidence alternée a fortement augmenté depuis dix ans. Alors qu’il atteignait 17 % en 2012, il est désormais estimé à environ 29 %, soit une progression de 12 points en dix ans.

Autrement dit, aujourd’hui, presque une résidence sur trois est une résidence alternée. Il est donc clair que la garde alternée gagne du terrain.

Elle n’est pas pour autant toujours souhaitée ou souhaitable. Ainsi que l’a constaté le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport du 22 novembre 2017, « si la résidence des enfants est majoritairement fixée aujourd’hui chez les mères, c’est parce que les pères ne la demandent pas. En effet, 93,4 % des décisions des juges aux affaires familiales sont rendues conformément à la demande des pères, et 95,9 % conformément à la demande des mères ».

Ces chiffres, si l’on s’y arrête un instant, sont extrêmement parlants.

Enfin, l’article 3 de la présente proposition de loi entend compléter les critères pris en compte par le juge aux affaires familiales lorsqu’il statue sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Il prévoit d’ajouter à l’article 373-2-11 du code civil les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur l’enfant.

Si les juges tiennent évidemment déjà compte du comportement des parents envers leurs enfants et des violences qui ont pu être commises, il me paraît toutefois intéressant de consacrer une telle pratique dans les textes.

Cela va dans le sens d’une meilleure protection de l’intérêt de l’enfant – et vous connaissez mon engagement plein et entier à ce sujet.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les débats de cet après-midi s’annoncent riches. Je souhaite qu’ils nous permettent d’avancer ensemble et de trouver les solutions à mettre en œuvre pour promouvoir une implication régulière des parents dans l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit en tout lieu et en tout temps rester notre seule boussole. »

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