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Proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession

Le 3 décembre 2024, les députés ont adopté en seconde lecture la proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession. En raison de plusieurs modifications sur l’article 1er, le texte devra encore faire l’objet d’un nouvel examen au Sénat.

Actualité législative

Sur le fond, l’article 1er définissant le périmètre de l’exonération et de la gratuité des frais bancaires sur succession a été modifié. La rapporteure et auteure de la proposition de loi, la députée Marie-Christine Pirès-Beaune, a détaillé ces modifications de la façon suivante :

« Alors que l’application des frais bancaires est encadrée par plusieurs lois, comme celle du 26 juillet 2013 qui plafonne les commissions d’intervention en cas de dépassement du découvert autorisé, les frais liés aux successions ne font toujours l’objet d’aucune régulation. Pourtant les opérations bancaires concernées, comme la clôture de comptes, sont souvent comparables à celles réalisées dans d’autres contextes, où elles sont pourtant gratuites. Comment, par exemple, justifier que la fermeture d’un compte bancaire après le décès d’un enfant puisse être facturée plus de 100 euros quand la même opération, pour un compte d’une personne vivante, est gratuite, conformément à l’article L. 312-1-7 du code monétaire et financier ?

Ces frais apparaissent comme profondément injustes, opaques et imprévisibles. Injustes, car ils surviennent dans le moment le plus difficile, celui de la perte d’un proche. En plein deuil, les héritiers découvrent avec stupeur qu’ils doivent payer des sommes importantes pour accéder aux avoirs de leur proche défunt. Opaques, car ils échappent généralement à l’attention des titulaires de comptes au moment de choisir leur établissement bancaire. Ils sont dissimulés dans les dernières pages des brochures tarifaires, rarement consultées en détail par les usagers. En effet, contrairement aux frais de tenue de compte ou aux commissions sur transactions, les frais successoraux ne sont pas des préoccupations immédiates des consommateurs – et on peut les comprendre. Imprévisibles, car ces frais s’imposent à des héritiers qui n’ont pas pu les choisir ni en être informés. Ils deviennent une dépense contrainte, souvent inattendue, touchant particulièrement les familles modestes, qui peinent à récupérer les derniers avoirs d’un proche décédé.

Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle est exacerbée par l’absence totale de régulation. Cela permet au secteur bancaire de pratiquer des tarifs totalement déconnectés du coût réel des opérations effectuées. Aujourd’hui, les frais de succession atteignent en moyenne 200 euros par dossier et plus de 300 euros pour les dossiers complexes, avec une augmentation de 25 % depuis 2021, après une hausse déjà significative de 28 % entre 2012 et 2021. Pire encore, depuis l’adoption de ce texte en première lecture, plusieurs banques ont augmenté leurs tarifs de manière substantielle, jusqu’à 50 % en un an pour certaines d’entre elles. À ce jour, si le texte était promulgué, seuls 2 établissements bancaires sur 122 respecteraient les critères qu’il énonce.

Cette situation contraste fortement avec celle de nos voisins européens. En Espagne, par exemple, les frais pour une succession simple s’élèvent à environ 80 euros, soit près de trois fois moins qu’en France. En Allemagne, la réglementation va plus loin : le code civil interdit purement et simplement les frais bancaires sur succession, considérés comme discriminatoires en l’absence de justification claire et compréhensible. Pourquoi la France, pourtant attentive à protéger ses consommateurs dans d’autres domaines, laisse-t-elle prospérer un tel écart par rapport à ses homologues de l’Union européenne ?
Face à cette réalité, cette proposition de loi marque une avancée inédite en encadrant les frais bancaires sur succession. Elle s’inscrit dans une série d’initiatives parlementaires menées ces dernières années, comme la proposition de loi déposée en 2022 par le sénateur Hervé Maurey, jamais discutée, ou l’amendement que j’avais déposé en janvier 2022 sur la proposition de loi de notre actuel rapporteur général Charles de Courson. D’autres efforts, comme la proposition de loi de Richard Ramos en 2023, sont restés lettre morte. Parallèlement, le gouvernement s’était engagé en 2021 à négocier un accord de place avec les banques pour encadrer ces frais. Plus de trois ans après, cet accord n’est jamais advenu. C’est pourquoi il est désormais nécessaire de faire aboutir une régulation.

Cette proposition de loi, dans la rédaction que nous examinons en deuxième lecture, institue d’abord trois cas de gratuité répondant à des situations spécifiques.

Premièrement, les banques ne pourront prélever aucun frais lorsque le titulaire du compte décédé était mineur. Ce premier cas de gratuité vise à répondre aux situations insupportables que connaissent certains parents au moment du décès de leur enfant. Je pense bien entendu au cas médiatisé des parents de Léo, 9 ans, décédé d’un cancer en 2021, auxquels il a été demandé 138 euros pour la clôture de son livret A. Ce texte interdit enfin de telles aberrations.

Ensuite, le texte prévoit la gratuité des opérations lorsque le total des soldes des comptes et des produits d’épargne du défunt est inférieur à 5 909 euros. Ce seuil – cela fait partie des nouveautés introduites par le Sénat – est fixé par référence à un arrêté ministériel, ce qui permet son évolution dans les mêmes proportions que l’inflation. Il permet de faire automatiquement bénéficier de la gratuité plus de 30 % de la population.

Le dernier cas de gratuité concerne l’ensemble des autres situations, à condition que les héritiers soient connus. Pour que l’opération soit gratuite, elle doit pouvoir soit être réalisable dans un délai raisonnable par les banques, soit, lorsque cela n’est pas possible, n’être caractérisée par aucun motif de complexité, comme l’absence d’héritier en ligne directe ou la présence de sûretés. Cette disposition vise à éviter l’application de frais bancaires lorsque les opérations à effectuer sont tellement simples qu’elles ne requièrent aucune diligence particulière de la part de l’établissement bancaire.
La proposition de loi prévoit également un encadrement des frais bancaires pouvant être prélevés dans les cas non couverts par ces trois dispositifs de gratuité. Cet encadrement se caractérise par un double mécanisme. D’une part, les frais prélevés ne peuvent dépasser ni 1 % du montant total des avoirs présents sur les comptes du défunt, ni un plafond en valeur fixé par décret. Cette dernière mesure vise à contrecarrer la tentation, pour les banques, de facturer des montants excessivement élevés en présence de sommes importantes sur les comptes. D’autre part, ces plafonds sont complétés par un barème en pourcentage dégressif selon le montant des avoirs, fixé là aussi par décret. Ce mécanisme permettrait une limitation des frais bancaires à un maximum de 200 euros pour 80 % des consommateurs.
Fort de nombreux enrichissements, le texte revenant du Sénat apparaît cependant perfectible, et je sais que cette position est partagée sur ces bancs. La semaine dernière, en commission, je vous avais fait part des réflexions en cours avec le gouvernement et le sénateur Maurey pour parvenir à une adoption conforme de la proposition de loi lors de sa deuxième lecture au Sénat.

Ce travail a été poursuivi en étroite collaboration avec le gouvernement – je remercie Mme la ministre ainsi que ses équipes – afin de parvenir à un texte aussi équilibré que possible. Le sénateur Maurey m’a également confirmé son accord au sujet de toutes les modifications que je vous proposerai, y compris celles portant sur la définition des cas de complexité, sous réserve de l’adoption d’un sous-amendement du groupe socialiste. Un vote conforme au Sénat apparaît donc comme une perspective parfaitement envisageable à condition que le texte soit inscrit à l’ordre du jour, ce que j’espère voir advenir rapidement.

J’ai également sollicité l’avis de la Banque de France ainsi que celui de l’UFC-Que choisir, qui ne s’y opposent pas. Ces amendements apportent des précisions et des clarifications indispensables.
Les améliorations que je vous propose s’articulent autour de cinq axes : premièrement, l’élargissement du champ d’application de la proposition de loi, initialement limité aux seules clôtures de comptes, à toutes les opérations bancaires liées aux successions ; deuxièmement, l’exclusion des plans d’épargne en actions, des comptes PME innovation et des plans d’épargne avenir climat du périmètre du texte ; troisièmement, la redéfinition des motifs de complexité visera à garantir une rédaction claire et précise. À ce titre, je proposerai de supprimer le critère relatif au nombre de comptes – clôturer six comptes n’est guère plus complexe qu’en clôturer quatre ou cinq – et la mention d’un « délai raisonnable », insuffisamment précise et peu pertinente pour définir ce qu’est une opération complexe. Une telle mention pourrait, de surcroît, avoir un effet pervers, incitant certaines banques à rallonger volontairement les délais d’instruction des dossiers afin que les cas soient considérés comme complexes et ouvrent droit à l’application de frais.

En revanche, deux nouveaux cas de complexité seraient introduits, le premier tenant à la présence de contrats de crédit immobilier et le second à la nature professionnelle du compte. Ces deux situations excluraient la gratuité automatique, mais les frais auxquels elles pourraient donner lieu seraient encadrés.

Quatrièmement, l’entrée en vigueur de la présente proposition de loi serait décalée de trois mois afin de laisser aux acteurs concernés le temps de s’adapter – Mme la ministre l’a indiqué. Cinquièmement, le rapport prévu à l’article 2 inclurait désormais une estimation du nombre de personnes bénéficiant de la gratuité instaurée – je salue Mme Dalloz, qui a introduit ce rapport dans le texte en commission.
Dans le contexte politique actuel, cette proposition de loi représente un véritable modèle de travail transpartisan et consensuel. Élaboré en concertation avec toutes les parties prenantes – vous, mes chers collègues, le Sénat, le gouvernement et les acteurs de la société civile –, ce texte illustre, en effet, les vertus d’une démarche, la consultation menée avec sérieux et transparence, qui constitue l’un des fondements essentiels à l’instauration du climat de confiance indispensable à l’élaboration d’une législation qui réponde à l’intérêt général et aux attentes des Français.
Je forme le vœu que nous puissions, au cours des mois à venir, avancer dans cette logique de responsabilité et de consensus autour de propositions comme celle-ci. »

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