Effets de la violence conjugale sur l’enfant

Les répercussions que les violences conjugales entraînent sur les enfants qui y sont exposés sont trop peu prises en considération. Les enfants restent encore trop souvent les victimes oubliées, tant au niveau des interventions qui leur sont proposées, que dans les recherches.

Réalités Familiales n°90
Réalités familiales n°90 Violences conjugales

Par Nathalie Savard, psychologue, chargée d’études à l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), doctorante à l’Université de Toulouse II Le Mirail

Les répercussions que les violences conjugales entraînent sur les enfants qui y sont exposés sont trop peu prises en considération. Les enfants restent encore trop souvent les victimes oubliées, tant au niveau des interventions qui leur sont proposées, que dans les recherches. Rappelons qu’à ce jour, aucune étude scientifique en France n’évalue les effets de la violence conjugale sur les enfants. Or, ces conséquences vont retentir sur l’ensemble de la personnalité de l’enfant, son organisation psychique et sur son développement.

L’exposition à la violence

L’exposition à la violence conjugale fait référence au fait pour un enfant d’être exposé directement ou indirectement à des scènes de violence répétées (Sudermann & Jaffe, 1999). Selon Lessard et Paradis (2003), l’exposition à la violence conjugale peut
prendre diverses formes.

L’enfant peut être exposé à la violence dès la période prénatale. En effet, la violence débute bien souvent lors de la grossesse (Lent & Morris, 2000). Ainsi, le fœtus peut être d’une part, affecté par l’état psychologique de la mère qui se dégrade à cause des violences vécues et, d’autre part, par la violence physique, par exemple si la mère est bousculée ou reçoit un coup dans le ventre. Dès son plus jeune âge, l’enfant peut être témoin oculaire de la violence exercée envers sa mère, lorsque les scènes de violences se déroulent directement devant lui. Il peut alors intervenir pour protéger sa mère et par exemple s’interposer verbalement ou physiquement pour interrompre la violence. Lors de ces interventions, certains enfants sont eux-mêmes agressés par leur père, soit de façon accidentelle parce qu’un coup destiné à la mère a touché l’enfant, soit de façon volontaire parce que le père ne supporte pas que l’enfant prenne la défense de sa mère.

L’enfant peut aussi ne pas être présent dans la pièce où ont lieu les scènes de violences, mais être le témoin auditif des paroles ou des gestes violents. Enfin, il peut subir indirectement les conséquences de la violence sans avoir vu ou entendu la scène de violence, par exemple lors de la visite de policiers ou lorsqu’il constate que sa mère est blessée, pleure, raconte ce qui est arrivé ou veut quitter la maison (Bourassa & Turcotte, 1998).

Le poids du silence

La plupart des enfants gardent secrètes les scènes dramatiques qu’ils observent chez eux. D’ailleurs, la violence n’est souvent jamais évoquée au sein de la famille, même si tous les membres la subissent directement ou indirectement. Suite à un épisode de violence, chacun des deux parents agit en général comme si de rien n’était, laissant souvent l’enfant en état de choc ou de stress, sans aucune explication. Ce dernier n’ose alors plus revenir sur les actes et scènes qu’il a pu voir ou entendre et vit avec ces images et souvenirs, sans pouvoir en parler, exprimer ses émotions ou encore être rassuré. Dans ce contexte, tous ces évènements ne seront pas sans conséquences sur son développement. En effet, diverses recherches scientifiques principalement nord-américaines associées aux observations réalisées par les professionnels de terrain mettent en exergue les effets néfastes de la violence sur l’enfant (Savard & Zaouche Gaudron, 2009).

Des conséquences visibles

Les conséquences sont observables dès la naissance chez le nourrisson qui très souvent refuse catégoriquement de s’alimenter, pleure sans raison apparente ou, au contraire, ne manifeste aucune émotion de façon à se faire oublier. Les centres de protection maternelle infantile observent souvent un retard staturo-pondéral, des troubles de l’attention, mais aussi des retards au niveau du développement ainsi que des maladies chroniques répétées. Lorsqu’il est plus âgé, l’enfant rencontre des difficultés scolaires (Huth-Bocks, Levendosky, Semel, 2001). En classe, il a du mal à rester concentré et attentif. Il refuse de faire son travail scolaire le soir ou en retarde sans cesse l’heure. Il rencontre aussi des difficultés pour retenir les leçons et réaliser les exercices. Ce manque général d’intérêt pour les apprentissages va l’amener à rencontrer des difficultés scolaires aussi bien observables au niveau des notes que de son comportement.

Ces enfants ont en effet du mal à établir des relations interpersonnelles significatives avec leur entourage, que ce soit avec les professeurs, les membres de leur famille ou les pairs. Ils peuvent être considérés comme étant hyperactifs par les professeurs de par leur comportement en classe. Face à l’adulte, l’enfant adopte aussi bien des comportements de séduction, que de manipulation ou d’opposition. Les problèmes comportementaux se manifestent également dans l’interaction avec leurs camarades (Fortin, 2005). Ils ont en effet tendance à se replier sur eux-mêmes, à s’isoler en refusant de s’ouvrir aux autres et faire confiance. De plus, ils réagissent en général de manière impulsive et vont résoudre leurs problèmes par de la violence ou de l’agressivité, ce qui amène les autres enfants à s’éloigner d’eux.

Certains sont gravement traumatisés par ce qu’ils ont vécu et développent un syndrome de stress post-traumatique (Chemtob & Carlson, 2004). Ils ne parviennent pas à assimiler leurs expériences de violence et vont rester hantés par les souvenirs, les sentiments et les pensées sans parvenir à les oublier, ces derniers pouvant même ressurgir dans les cauchemars que fait l’enfant.

Au niveau affectif, il apparaît que ces enfants sont souvent tristes, anxieux, dépressifs, ont une faible estime d’eux-mêmes. Ils possèdent également des relations d’attachements insécurisées
(Savard, thèse de doctorat en cours) à l’origine de certaines craintes et peurs face au monde qui les entoure, qui apparaissent souvent disproportionnées. L’enfant perçoit sa famille comme étant divisée entre l’abuseur contrôlant et cruel, habituellement le père, et la victime, souffrante et sans ressources, souvent la mère. Il peut conclure que le monde dans lequel il évolue est un lieu dangereux et terrorisant, l’amenant à une extrême méfiance et de l’hypervigilance. Certains dilemmes affectifs peuvent aussi être vécus par le fait qu’il se retrouve constamment déchiré entre ses deux parents, l’amenant à vivre de véritables conflits de loyauté. L’enfant est en effet amené à éprouver des sentiments contradictoires vis-à-vis de ses parents alternant entre l’amour et la haine, l’attachement et le détachement, la proximité et le rejet à l’égard de l’un ou l’autre des parents (Eisikovits, Winstok, & Enosh, 1998).

Des effets durables

Il est également possible d’assister à un renversement des rôles entre l’enfant et ses parents, ce que l’on appelle la « définition » (Earley & Cushway, 2002). L’enfant assume alors certains rôles parentaux souvent peu appropriés à son âge et qui peuvent être à l’origine de lourdes conséquences sur son développement. Il joue ainsi un rôle de soignant, de confident ou de médiateur et va par exemple prendre en charge et protéger ses frères et sœurs, mais aussi, essayer de convaincre sa mère que l’attitude ou le comportement du père est inacceptable et qu’elle devrait le quitter.

À l’adolescence, comparativement aux enfants non exposés à la violence conjugale, ces enfants pratiquent plus l’école buissonnière et ont tendance à fuguer. Ils ont également aussi plus de conduites addictives (drogues, alcool) et adoptent des comportements suicidaires. De même, ils ont été marqués durant leur enfance par des apprentissages erronés sur le rôle des femmes et des hommes dans les relations intimes qui vont augmenter le risque de reproduction intergénérationnelle de la violence dans les futures relations amoureuses ou conjugales. Ainsi, les garçons ayant été exposés à la violence conjugale agissent violemment envers leurs petites amies, alors que les filles ont des risques d’être à leur tour victimisées dans leur future relation conjugale (Rosenbaum & Leisring, 2003).

Dès son plus jeune âge, l’enfant exposé à la violence conjugale se retrouve donc agressé par une ou parfois même, ses deux figures parentales en lesquelles il ne peut plus croire, auprès desquelles il ne peut plus se reposer, s’identifier en tant que modèle de référence, qui ne le protègent plus. L’enfant se trouve donc seul, face au monde, il est ainsi fragilisé dans l’ensemble de son développement. Chaque enfant réagit différemment face à la violence, il est donc important de repérer et prendre en considération les effets néfastes qu’elle engendre de façon à pouvoir agir au plus vite et mettre en place des prises en charge adaptées.


Références bibliographiques

Bourassa, C., et Turcotte, D. (1998). Les expériences familiales et sociales des enfants exposés à la violence conjugale : des observations tirées de leurs propos. Intervention, 107, 7-18.

Chemtob, C., & Carlson, J. (2004). Psychological effects of domestic violence on children and their mother. International Journal of Stress Management , 11(3), pp. 209-226.

Earley, L., & Cushway, D. (2002). The parentified child. Clinical Child Psychology and Psychiatry, 7(2), 163-178.

Eisikovits, Z., Winstok, Z., & Enosh, G. (1998). Children’s experience of interparental violence : A heuristic model. Children and Youth Services Review, 20(6), 547-568.

Fortin A., 2005, Le point de vue de l’enfant sur la violence conjugale. Collection étude et analyse, N° 32 ISBN 2-921768-53-4 page 22

Huth-Bocks, A., Levendosky, A., & Semel, M. (2001). The Direct and Indirect Effects of Domestic Violence on Young Children’s Intellectual Functioning. Journal of Family Violence, 16(3), pp. 269-290.

Lent B, & Morris P. (2000). The effect of domestic violence on pregnancy and labour. Discussion paper. Ontario, College of Family Physicians of Canada.

Lessard, G. et Paradis, F. (2003). La problématique des enfants exposés à la violence conjugale et les facteurs de protection. Recension des écrits. Beauport, QC : Direction de santé publique de Québec.

Rosenbaum, A., & Leisring, P. A. (2003). Beyond Power and Control : Towards an Understanding of Partner Abusive Men. Journal of Comparative Family Studies, 34(1), pp. 7-22.

Savard, N. & Zaouche Gaudron, C. (2009). État des lieux des recherches sur les enfants expo-
sés à la violence conjugale. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence doi:10.1016/j.neurenf.2009.11.008.

Savard, N. (thèse de doctorat en cours). « Développement socio-affectif de l’enfant âgé de 5 à 6 ans en contexte de violence conjugale : une approche écosystémique » Sous la direction de : Chantal Zaouche Gaudron, Professeure de Psychologie du Développement, Université Toulouse II. – Equipe d’accueil : Milieux, Groupes et Psychologie du Jeune Enfant, Laboratoire Psychologie du Développement et Processus de Socialisation, Université Toulouse II.

Sudermann, M. & P.G. Jaffe (1999). A Handbook for Health and Social Service Providers and Educators on Children Exposed to Woman Abuse/Family Violence. Ottawa : Family Violence Prevention Unit, Health Canada.